Mahaballipuram
C'EST AILLEURS
Vers 17h. J'ouvre les yeux, me lève, prends une douche et vais m'asseoir sur la terrasse avec mon carnet et un stylo. J'avais lu quelque part avant de partir que « l'Inde change les gens. Elle peut transformer, guérir, tout comme elle peut aussi anéantir, détruire. Le fait est qu'elle ne laisse personne indifférent. » Ces mots m'ont longtemps intriguée. Comment un pays peut-il affecter si profondément un simple voyageur ?
Peu à peu, je commence à comprendre...
C'EST AILLEURS
Mardi 24 avril, 8h08. Je me réveille avec la tête un peu lourde, mes menstrues arrivent à leur terme, mon corps se régénère. Je prends le petit- déjeuner dans le jardin, avale trois chais, puis me mets en route pour une promenade fantastique sous un soleil de plomb, au rythme des « tic-tic-tic » et « des toc-toc-toc »... Mantra sonore entêtant des tailleurs de pierre d'un bout à l'autre du village. Après la visite furtive des cinq Rathas - un ensemble de cinq temples datant du septième siècle de notre ère, chacun taillé dans un seul bloc de pierre - j'ai fait une nouvelle rencontre intrigante.
J'avais besoin de m'asseoir un moment à l’abri du soleil, lorsqu'un homme frêle au visage placide, encadré par des cheveux blancs et courts, vêtu d'une chemise blanche et d'un dhoti à damiers bleus, m'a invitée, d'un geste de la main, à prendre place dans l'ombre procurée par les bâches en plastique rapiécé de son stand de chai. J'ai été immédiatement happée, saisie, hypnotisée... Je l'ai observé en silence allumer un réchaud à gaz, sous une casserole en aluminium cabossée pour préparer du chai et servir l'unique cliente que j'étais, en répétant les mêmes gestes lents qu'il devait exécuter à maintes reprises, chaque jour, depuis bien longtemps, avec une grâce et une attitude presque méditative. J'ai mis une cigarette entre mes lèvres et lui ai tendu le paquet pour qu'il s'y serve. Il en a attrapé une qu'il a mise presque religieusement dans la poche de sa chemise. Lorsque je l'ai incité à en prendre quelques autres, il a poliment refusé, en tapotant doucement sa poitrine. Il y avait quelque chose de très doux et d’extrêmement puissant qui se dégageait de son corps ténu et qui m'a emplie d'une énorme sensation de calme et de paix intérieure.
Sur le point de partir, je lui ai demandé combien je lui devais. Il a calmement répondu :
— Rien. Gratuit.
Je l'ai regardé, sidérée. Comment pouvait-il gagner sa vie de cette façon ? J'allais commencer à argumenter et j'envisageais même de lui poser l'argent sur la table ou de le lui glisser dans la main, mais quand mon regard a croisé le sien, j'ai vite saisi que cela n'aurait pas été un comportement approprié, et que je l'aurais offensé. Alors je l'ai simplement remercié. J'ai instinctivement joint mes mains devant mon cœur et je me suis inclinée devant lui. Un immense sourire a illuminé son visage alors que lui aussi s'inclinait devant moi, les mains jointes. Namasté.
Bouleversée par l’attitude de cet homme, je me suis éloignée à petits pas en direction du village. Mes yeux se sont soudainement brouillés et j'ai ressenti un déferlement intérieur, comme une brûlure froide qui me vidait et me remplissait tout à la fois. J'ai été prise de vertige, puis d'une incontrôlable envie de rire... En perte de contrôle subite et momentanée de mes moyens, je suis retournée vers le village, dans un état second. Qui était cet homme ? Un ange déguisé ? Un mage ? Une incarnation
divine ? Que venait-il de se passer ? Malgré la duppata que j'avais enroulée autour de ma tête, j'avais peut-être été frappée par le soleil, un peu plus ardent qu'à l'ordinaire ?
Quand j'ai remarqué le Seashore Temple à ma droite, j'ai réalisé que je n'étais plus très loin de mon hôtel. En passant par la plage, j'y arriverais plus rapidement, à condition toutefois d'éviter de déraper sur les rochers qu'il fallait escalader avant d'atteindre le sable humide...
De retour dans ma chambre, je m'allonge sous les mouvements hypnotiques du ventilateur et m'abandonne bientôt à une délicate torpeur méditative.
J'avais besoin de m'asseoir un moment à l’abri du soleil, lorsqu'un homme frêle au visage placide, encadré par des cheveux blancs et courts, vêtu d'une chemise blanche et d'un dhoti à damiers bleus, m'a invitée, d'un geste de la main, à prendre place dans l'ombre procurée par les bâches en plastique rapiécé de son stand de chai. J'ai été immédiatement happée, saisie, hypnotisée... Je l'ai observé en silence allumer un réchaud à gaz, sous une casserole en aluminium cabossée pour préparer du chai et servir l'unique cliente que j'étais, en répétant les mêmes gestes lents qu'il devait exécuter à maintes reprises, chaque jour, depuis bien longtemps, avec une grâce et une attitude presque méditative. J'ai mis une cigarette entre mes lèvres et lui ai tendu le paquet pour qu'il s'y serve. Il en a attrapé une qu'il a mise presque religieusement dans la poche de sa chemise. Lorsque je l'ai incité à en prendre quelques autres, il a poliment refusé, en tapotant doucement sa poitrine. Il y avait quelque chose de très doux et d’extrêmement puissant qui se dégageait de son corps ténu et qui m'a emplie d'une énorme sensation de calme et de paix intérieure.
Sur le point de partir, je lui ai demandé combien je lui devais. Il a calmement répondu :
— Rien. Gratuit.
Je l'ai regardé, sidérée. Comment pouvait-il gagner sa vie de cette façon ? J'allais commencer à argumenter et j'envisageais même de lui poser l'argent sur la table ou de le lui glisser dans la main, mais quand mon regard a croisé le sien, j'ai vite saisi que cela n'aurait pas été un comportement approprié, et que je l'aurais offensé. Alors je l'ai simplement remercié. J'ai instinctivement joint mes mains devant mon cœur et je me suis inclinée devant lui. Un immense sourire a illuminé son visage alors que lui aussi s'inclinait devant moi, les mains jointes. Namasté.
Bouleversée par l’attitude de cet homme, je me suis éloignée à petits pas en direction du village. Mes yeux se sont soudainement brouillés et j'ai ressenti un déferlement intérieur, comme une brûlure froide qui me vidait et me remplissait tout à la fois. J'ai été prise de vertige, puis d'une incontrôlable envie de rire... En perte de contrôle subite et momentanée de mes moyens, je suis retournée vers le village, dans un état second. Qui était cet homme ? Un ange déguisé ? Un mage ? Une incarnation
divine ? Que venait-il de se passer ? Malgré la duppata que j'avais enroulée autour de ma tête, j'avais peut-être été frappée par le soleil, un peu plus ardent qu'à l'ordinaire ?
Quand j'ai remarqué le Seashore Temple à ma droite, j'ai réalisé que je n'étais plus très loin de mon hôtel. En passant par la plage, j'y arriverais plus rapidement, à condition toutefois d'éviter de déraper sur les rochers qu'il fallait escalader avant d'atteindre le sable humide...
De retour dans ma chambre, je m'allonge sous les mouvements hypnotiques du ventilateur et m'abandonne bientôt à une délicate torpeur méditative.
Vers 17h. J'ouvre les yeux, me lève, prends une douche et vais m'asseoir sur la terrasse avec mon carnet et un stylo. J'avais lu quelque part avant de partir que « l'Inde change les gens. Elle peut transformer, guérir, tout comme elle peut aussi anéantir, détruire. Le fait est qu'elle ne laisse personne indifférent. » Ces mots m'ont longtemps intriguée. Comment un pays peut-il affecter si profondément un simple voyageur ?
Peu à peu, je commence à comprendre...
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